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commune de paris - Page 2

  • Le godemichet de la gloire : la colonne Vendôme

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    " Un monument de barbarie, un symbole de force brutale et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité" ( La Commune)

      colonne vendôme

    E. Rouargue. 1846

    La place Vendôme s'ornait le 10 août 1792 d'une statue de Louis XIV renversée en même temps que la royauté.
    Après les campagnes de Napoléon, on édifia une colonne ornée de bas-reliefs en bronze qui glorifiaient les victoires de 1806. En 1810, l'ensemble fut couronné d'une statue de l'empereur en César,  parodiant ainsi la tradition  romaine du trophée.
    En 1814, La Restauration déboulonnait le tyran. Puis la monarchie de Juillet qui lui succédait en la personne de Louis-Philippe Ier en posait  une nouvelle : le 28 juillet 1833, la statue en pied de Napoléon I était inaugurée en présence du roi. Elle représentait l'empereur dans  la tenue légendaire  de Petit caporal : redingote et chapeau.
    En 1863, Napoléon III estimant que la statue est en péril le fit déposer.

    3992716853.pngL'embarrassante redingote grise érigée par Louis-Philippe avait été reléguée à Courbevoie en qualité de borne  fontaine, on parlait même de poser un robinet dans le dos du grand homme pour humilier les d'Orléans. On a compris depuis que du sublime au ridicule il ne restait plus qu'un demi pas, et des ingénieurs spéciaux sont en train de chercher pour ce bronze dédaigné un axe qui permette au soleil de se coucher dans le bas des reins du vainqueur d'Austerlitz, de façon à lui composer, vers huit heures du soir en été, et quatre heures, quatre heures et demie en hiver, une petite auréole de vingt-cinq minutes. " Rochefort, La lanterne

    La redingote est remplacée par un nouvel empereur qui renoue avec les meilleures traditions :

    " Si comiquement drapé à l'antique, que, le soir, sous les rayons de la pâle Phœbé, on le prend volontiers pour une blanchisseuse qui revient du lavoir."  Rochefort - La lanterne

    La colonne est baptisée successivement : "colonne d'Austerlitz", "colonne de la Victoire " ou encore "colonne de la Grande Armée".

    3992716853.pngLa Ville de Paris a son grand mât tout de bronze, sculpté de victoires, et pour vigie Napoléon. Cette nauf a bien son tangage et son roulis ; mais elle sillonne le monde, y fait feu par les cent bouches de ses tribunes, laboure les mers scientifiques, y vogue à pleines voiles, crie du haut de ses huniers par la voix de ses savants et de ses artistes : —" En avant, marchez ! suivez-moi ! " Elle porte un équipage immense qui se plaît à la pavoiser de nouvelles banderoles. Ce sont mousses et gamins qui rient dans les cordages;  lest de lourde bourgeoisie ; ouvriers et matelots goudronnés ; dans ses cabines, les heureux passagers , élégants midshipmen fumant leurs cigares ; puis sur le tillac, ses soldats, novateurs ou ambitieux qui vont aborder à tous les rivages, et qui, tout en y répandant de vives lueurs, demandent ou de la gloire qui est un plaisir, ou des amours qui veulent de l'or. "

     Honoré de Balzac, La Fille aux yeux d’or -1834-1835

     jan8_anonyme_001f.jpg
    Napoléon de la colonne - 1833

    Le gland qu'on abat 

    3992716853.pngDéjà une fois, les orages ont arrachés du faîte de la colonne Vendôme l’homme de fer qui pose sur son fût et en cas que les socialistes parvinssent au gouvernement, le même accident pourrait lui arriver une seconde fois, ou bien même la rage d’égalité radicale serait capable de renverser toute la colonne afin que ce symbole de gloire fût entièrement rasé de la terre. "  Heinrich Heine

    220px-PereDuchesneIllustre1_1_0.png

    En 1870, dans les jours qui suivent la déchéance du second Empire et la proclamation de la République,  le peintre Gustave Courbet émet le souhait, dans une réunion d'artistes, de déboulonner le  " monument dénué de toute valeur artistique, tendant à perpétuer par son expression les idées de guerre et de conquête qui étaient dans la dynastie impériale, mais que réprouve le sentiment d’une nation républicaine."

     Paris, 14 septembre 1870

    Proposition aux membres du gouvernement et de la Défense nationale

    Le Citoyen Courbet, président de la commission artistique préposée à la conservation des musées nationaux et objets d'art, nommé en assemblée générale des artistes,Attendu que la colonne Vendôme est un monument dénué de toute valeur artistique, tendant à perpétuer, par son expression, les idées de guerre et de conquêtes qui étaient dans la dynastie impériale, mais que réprouve le sentiment d'une nation républicaine, attendu qu'il est par cela même antipathique au génie de la civilisation moderne et à l'union de fraternité universelle qui désormais doit prévaloir parmi les peuples, attendu aussi qu'il blesse leurs susceptibilités légitimes et rend la France ridicule et odieuse aux yeux de la démocratie Européenne, émet le vœu :

    Que le gouvernement de la défense nationale veuille bien l'autoriser à déboulonner cette colonne ou qu'il veuille bien lui-même en prendre l'initiative en chargeant de ce soin l'administration du musée d'Artillerie et en faisant transporter les matériaux à l'hôtel de la Monnaie.

    Il désire aussi que cette mesure soit appliquée à la statue qui a été déplacée et qui actuellement est exposée à Courbevoie, avenue de la Grande Armée.

    Il désire enfin que ces dénominations de rues qui rappellent pour les uns des victoires, des défaites pour les autres, soient rayées de notre capitale pour être remplacées par les noms des bienfaiteurs de l'humanité ou bien par ceux qu'elles pourraient tirer de leur situation géographique. 

    Gustave Courbet - Correspondance de Courbet, Flammarion, p.342.

    Le 12 avril 1871, sur proposition de Felix Pyat,  la Commune vote le décret suivant :

    « La Commune de Paris, considérant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brutale et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité, décrète :

    Article unique. La colonne de la place Vendôme sera démolie ».

    colonneVendome1871.jpg

    La technique de destruction adoptée est celle de "l’entaille en sifflet" qu'utilise les bûcherons pour abattre les grands arbres...

    16 mai 1871, la colonne est abattue.

    " Sur un lit de fumier"

    3992716853.pngL'ingénieur chargé de la démolition s'était engagé, ce au nom du " club positiviste de Paris ", par un contrat longuement motivé, à exécuter cele 5 mai, jour anniversaire de la mort de Napoléon, le jugement prononcé par l'histoire et édicté par la Commune de Paris contre Napoléon 1er." On lui débauchait souvent ses ouvriers et l'opération fut retardée jusqu'au 16.  Ce jour, à deux heures, une foule remplissait les rues voisines fort inquiètes, car. on prédisait toutes sortes de catastrophes. L'ingénieur, lui, s'était déclaré par son contrat ce en mesure d'éviter tout danger ". Il avait scié la colonne horizontalement un peu au-dessus du piédestal. Une entaille en biseau devait faciliter la chute en arrière sur un vaste lit de fagots, de sable et de fumier accumulé dans l'axe de la rue de la Paix. Un câble attaché au sommet de la colonne s'enroule autour du cabestan fixé à l'entrée de la rue.

    La place est remplie de gardes nationaux; les fenêtres, les toits, de curieux. A défaut de Jules Simon et Ferry, partisans naguère du déboulonnement, Glais-Bizoin, l'ex-délégué à Tours, félicite le nouveau délégué à la police Ferré, qui vient de remplacer Cournet, et lui confie que son ardent désir depuis quarante ans est de voir démolir le monument expiatoire. Les musiques jouent la Marseillaise. Le cabestan vire, la poulie se brise, un homme est blessé. Des bruits de trahison circulent. Une nouvelle poulie est bientôt installée. A cinq heures, un officier paraît sur la balustrade, agite longtemps un drapeau tricolore et le fixe à la grille.

    A cinq heures et demie, le cabestan vire de nouveau. Quelques minutes après, César oscille et son bras chargé de victoires vainement bat le ciel. Le fût s'incline, d'un coup se brise en l'air avec des zigzags et s'abat sur le sol qui gémit. La tête de Bonaparte roule et le bras homicide git détaché du tronc. Une acclamation comme d'un peuple délivré jaillit de milliers de poitrines. On se rue sur les ruines et, salué de clameurs enthousiastes, le drapeau rouge se plante sur le piédestal. Le peuple voulait se partager les débris de la colonne. La Monnaie s'y opposa sous raison de gros sous. L'un des premiers actes de la bourgeoisie victorieuse fut de relever ce bâton énorme, symbole de sa souveraineté.

    Pour remonter le maître sur son piédestal, il fallut un échafaudage de trente mille cadavres. Comme les mères du premier Empire, combien de celles de nos jours n'ont pu regarder ce bronze sans pleurer !  "

    Histoire de la Commune de  1871 -  Lissagaray - p. 289
     

     ccDisderi_41.jpg

    Le lendemain, dans le journal officiel de la Commune, on peut lire :

    3992716853.png Le décret de la Commune de Paris qui ordonnait la démolition de la colonne Vendôme a été exécuté hier, aux acclamations d'une foule compacte, assistant sérieuse et réfléchie à la chute d'un monument odieux, élevé a la fausse gloire d'un monstre d'ambition.
    La date du 26 floréal sera glorieuse dans l'histoire, car elle consacre notre rupture avec le militarisme, cette sanglante négation de tous les droits de l'homme.

    Le premier Bonaparte a immolé des millions d'enfants du peuple et sa soif insatiable de domination ; il a égorgé la République après avoir juré de la défendre fils de la Révolution, il s'est entouré des privilèges et des pompes grotesques de la royauté; il a poursuivi de sa vengeance tous ceux qui voulaient penser encore ou qui aspiraient a être libres; il a voulu river un collier de servitude au cou des peuples, afin de trôner seul dans sa vanité, au milieu de la bassesse universelle : voilà son œuvre pendant quinze ans.

    Elle a débuté, le 18 brumaire, par le parjure, s'est soutenue par le carnage, et a été couronnée par deux invasions ; il n'en est resté que des ruines, un long abaissement moral, l'amoindrissement de la France, le legs du second Empire commençant au Deux-Décembre, pour aboutir à la honte de Sedan. La Commune de Paris avait pour devoir d'abattre ce symbole du despotisme elle e l'a rempli. Elle prouve ainsi qu'elle place le droit au-dessus de la force et qu'elle préfère la justice au meurtre, même quand il est triomphant.

    Que le monde on soit bien convaincu les colonnes qu'elle pourra ériger ne célébreront jamais quelque brigand de l'histoire, mais elles perpétueront le souvenir de quelque conquête glorieuse dans le champ de la science, du travail et de la liberté."
     
    Dans le chapitre de l'Histoire socialiste, consacré à la Commune, Jean Jaurès écrit :

    3992716853.pngLe 16 mai, la Commune jetait bas, aux applaudissements d’une foule immense, l’homme de bronze de la Place Vendôme, le Napoléon d’Auslerlitz et d’Iéna, de Wagram et d’Eylau qui, pendant quinze ans, avait passé, en les broyant, sur le ventre des nations. La colonne orgueilleuse tombait et se brisait en morceaux sous les yeux d’une part de l’armée française commandée par les généraux bonapartistes qui assiégeait Paris, d’autre part des armées prussiennes qui, deux mois auparavant, avaient investi et pris ce même Paris. On a bassement accusé la Commune à ce propos d’avoir cédé volontairement ou involontairement à des suggestions bismarckiennes et allemandes. Cette vilenie ne mérite même pas d’être relevée. En réalité la Commune, interprète de la conscience universelle, ne distinguait pas entre vainqueurs de l’avant-veille et vainqueurs de la veille, entre conquérants nationaux et asservisseurs étrangers ; elles les confondait les uns et les autres dans la même réprobation et la même exécration, couchant la gloire de Guillaume avec celle de Bonaparte, comme toute gloire militaire, sur le même lit de fumier."

    La nouvelle colonne

    3 ans après la défaite de la Commune, en mai 1873, le comte de Mac-Mahon, duc de Magenta,  Maréchal de France et  nouveau président d'une république qui ressemble à une monarchie, décide la reconstruction de la colonne pour la somme de 323 091 francs et 68 centimes  ( plus d’ 1 million d’euros).

    Le pouvoir versaillais attribue abusivement la responsabilité de cette démolition à Gustave Courbet.  On lui accorde  généreusement des facilités de paiement : 10 000 francs-or par an pendant 33 ans

    Le peintre, déjà condamné à une amende et à six mois de prison, ruiné après la chute de la Commune, tous ses biens frappés de séquestre par le Trésor, banni de son village, interdit de Salon par Meissonier, finit  par demander asile à la Suisse. En Juillet 1873 il se fixe sur les bords de Léman où il mourra le 31 décembre 1877 avant d’avoir jamais payé la première traite.

    Dans un des ses poèmes libertins, Le Godemichet de la gloire, Théophile Gautier ridiculise l’œuvre :

    Un vit sur la place Vendôme
    Gamahuché  par l' aquilon
    Décalote son large dôme
    Ayant pour gland Napoléon.
    Veuve de son fouteur, la Gloire,
    La nuit dans son con souverain,
    Enfonce — tirage illusoire ! —
    Ce grand godemichet d'airain...

                          "Vidua et Orbata"

    " Madame la Gloire ne pouvant plus combler l’abîme de son veuvage, vient de faire appel à la sensibilité de MM. les membres de l’assemblée de Versailles, lesquels l’ont renvoyée à Courbet, d’Ornans, maître peintre, condamné à rafistoler et redresser l’engin phallique de la dite dame, méchamment mis en capilotage par la Commune." Théophile Gauthier -Poésies libertines

    Actuellement, au sommet de la colonne Vendôme, le gland, Napoléon soi-même en pied, trône toujours.

    L' œuvre verte et gonflable de l'artiste américain Paul McCarthy, s'intitulant Tree (arbre) n'a pas été du goût de tout le monde. La sculpture éphémère, érigée sur la place Vendôme en octobre 2014 à l'occasion de la Foire internationale d'art contemporain, voulait sans doute répondre au gland impérial par sa forme suggestive où des spécialistes ont vu un plug anal.

    atlantico.fr_mccarthy_tree_plug_vendome.jpeg

    *

    > Gustave Courbet (1819-1877) : une biographie, Musée d'Orsay

    > "La chute de la colonne Vendôme : 16 mai 1871 : un après-midi pas comme les autres", sur le site Terre des écrivains

    > Le colonne Vendôme - 16 mai 1871. Raspouteam.org 

    > Prosper-Oliver Lissagaray (1838-1901) Histoire de la Commune de 1871 (Edition de 1929)

    > "La Colonne Vendôme déboulonnée,  Histoire par l'image

    >" Napoléon sur la colonne - Histoire par l'image

    > "Gustave Courbet et la Colonne Vendôme", sur le site consacré à Julien Descaves, journaliste et écrivain.

    >  "Cette chute de la colonne Vendôme..."  Par Bernard Vassor

    >  "Le bicentenaire de la colonne Vendôme" - 2010  France-Culture

    >  Poésies libertines de Théophile Gautier  sur Wikisource
  • Dimanche, ne perdez pas de vue...

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     1871

     Affiche apposée sur les murs 
    avant l’élection de  la Commune de Paris

     appelauxelecteurlacommunedeparis.jpg

          Citoyens,

    Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre vie, souffrant des mêmes maux.

    Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujours par se considérer comme indispensables.

    Défiez-vous également des parleurs, incapables de passer à l’action ; ils sacrifieront tout à un beau discours, à un effet oratoire ou à mot spirituel.

    Évitez également ceux que la fortune a trop favorisés, car trop rarement celui qui possède la fortune est disposé à regarder le travailleur comme un frère.

    Enfin, cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue.

    Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à choisir leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter.

          Citoyens,

     Nous sommes convaincus que si vous tenez compte de ces observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire, vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considèrent jamais comme vos maîtres.

     Hôtel de Ville, le 17 mars 1871.

     Le Comité Central de la Garde Nationale.

  • Commune de Paris - Traîtres et valets

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    " Il n'y a rien de plus noble que la grandeur de la passion au service de la grandeur de l'idée".

    Prosper-Oliver Lissagaray

    " L'histoire de la Commune de 1871 a été fabriquée par des escamoteurs. Méconnaître ou haïr la classe qui produit tout est la caractéristique actuelle d'une bourgeoisie jadis grande, qu'affolent aujourd'hui les révolutions d'en bas. Celle du 18 mars 1871." 

    Lissagaray - préface 1896.

    Après avoir capturé Napoléon III et son armée à Sedan, les Prussiens assiègent Paris et battent les armées de Gambetta. Réfugié à Bordeaux, le "gouvernement de la Défense nationale" signe l'armistice le 28 janvier 1871 et prépare des élections générales. A Bordeaux, Adolphe Thiers, bourgeois phillipard de 73 ans,  est élu le 17 février "chef du pouvoir exécutif de la République française " et il obtient de l'Assemblée nationale qu'elle ratifie les préliminaires de paix.

    " Adolphe Thiers représente le plus petit dénominateur commun des "centres" bourgeois, conservateurs et royalistes modérés comme ancien chef du gouvernement sous le roi Louis-Philippe, ancien républicain du "parti de l’ordre" durant la Seconde république, ancien soutien de Louis Napoléon Bonaparte en 1851.". ( Jacques Serieys)

    Thiers et Bismarck, tous deux grands amis de l’ordre, sont d’accord pour écraser la révolution parisienne. Bismarck exige et obtient une répression rapide en échange, notamment, du retour des prisonniers d’Allemagne...

    Le 18 mars, le peuple de Paris refuse le coup de force de Thiers qui a donné l'ordre à 4.000 soldats de récupérer les canons de Paris. C'est au son du tocsin que la foule s'assemble, élève des barricades et fraternise avec les soldats. Thiers gagne Versailles suivi de 100 000 Parisiens (habitants des quartiers chics de l'ouest parisien ou fonctionnaires). Il reste à empêcher la province de rejoindre le combat des parisiens et que la révolution s'étende à tout le pays.

    Commune de Paris, Lissagaray

    " Quel est le grand conspirateur contre Paris ?

    Prosper-Oliver Lissagaray

    3992716853.pngLe 19 mars, que reste-t-il à M. Thiers pour gouverner la France ? Il n'a ni armée, ni canons, ni les grandes villes. Elles ont des fusils, leurs ouvriers s'agitent. Si cette petite bourgeoisie qui fait accepter à la province les révolutions de la capitale suit le mouvement, imite sa sœur de Paris, M. Thiers ne peut lui opposer un véritable régiment. Bismarck avait bien offert de se substituer à lui ; c'eût été la fin de tout. Pour subsister, contenir la province, l'empêcher d'arrêter les canons qui doivent réduire Paris, quelles sont les seules ressources du chef de la bourgeoisie ? Un mot et une poignée d'hommes. Le mot :  République ;  les hommes : les chefs traditionnels du parti républicain.

    Que les ruraux épais aboient au seul nom de République et refusent de l'insérer dans leurs proclamations, M. Thiers, autrement rusé, s'en remplit la bouche et, tordant les votes de l'Assemblée, le donne pour mot d'ordre. Aux premiers soulèvements, tous ses fonctionnaires de province reçoivent la même formule : " Nous défendons la République contre les factieux."

    C'était bien quelque chose. Mais les votes ruraux, le passé de M. Thiers, juraient contre ces protestations républicaines et les anciens héros de la Défense n'offraient plus caution suffisante. M. Thiers le sentit et il invoqua les purs des purs, les chevronnés, que l'exil nous avait rejetés. Leur prestige était encore intact aux yeux des démocrates de province. M. Thiers les prit dans les couloirs, leur dit qu'ils tenaient le sort de la République, flatta leur vanité sénile, les conquit si bien qu'il s'en fit un bouclier, put télégraphier qu'ils avaient applaudi les horribles discours du 21 mars. Quand les républicains de la petite bourgeoisie provinciale virent le fameux Louis Blanc, l'intrépide Schoelcher et les plus célèbres grognards radicaux, insulter le Comité Central, eux-mêmes ne recevant de Paris ni programme, ni émissaires capables d'échafauder une argumentation, ils se détournèrent, on l'a vu, laissèrent éteindre le flambeau allumé par les ouvriers. "

    Prosper-Olivier Lissagaray (1838-1901)

    Histoire de la Commune de 1871 (Gallica Édition de 1929)

    Éditions en différents formats  sur le site UQUAC

    Témoin et acteur de la Commune de Paris, Lissagaray travailla à son Histoire de la Commune de 1871 à 1896 -avec une  première livraison en 1876.

  • Commune de Paris - Le général Trochu

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    18 mars 1871 : déclenchement de la Commune de Paris.

     Septembre 1870, l'armée française est détruite, prisonnière ou sur un autre front : Napoléon III n'est plus que l'ombre de lui-même. Tout repose alors sur un gouvernement de faillis. Pour se sortir d'affaire, il n'y a que la foi qui sauve : " Vive Trochu, il a un plan !"

    De ce Trochu, " Breton, catholique et soldat », comme il se définit lui-même, l'amiral La Roncière-Le Noury dresse ce portrait peu flatteur : " Ce bon Trochu n'est pas même pour la défense de Paris seul. Là où il fallait un homme d'une rapidité et d'une énergie excessives, on a un homme qui a pour base la temporisation et la manie de discourir. Tout cela est très bien en temps de paix, mais à l’heure qu'il est !"  Et encore : " Trochu n'est pas. Il ne signe pas grand-chose : il se laisse entraîner dans le torrent."

    C'est à Hugo d'enfoncer le clou et de faire en sorte que Trochu passe à la postérité.

     " Trochu, participe passé du verbe Trop Choir...
    De toutes les vertus sans nombre dont la somme
    Est zéro, soldat brave, honnête, pieux, nul,
    Bon canon, mais ayant un peu trop de recul,
    Preux et chrétien, tenant cette double promesse,
    Capable de servir son pays et la messe... "

    trochu, napoléon III

    Napoléon III et le général Trochu

     Le 4 septembre 1870, suite à la capitulation de l’armée française à Sedan et à la captivité de Napoléon III, des manifestants parisiens envahissent l’Assemblée nationale et  empêchent le Corps législatif de délibérer. A l'hôtel de Ville de Paris  la République est proclamée.
    Le général de division Trochu, devenu président du gouvernement de la Défense nationale,  est contraint de démissionner après la bataille de Buzenval  du  19 janvier 1871 - une tentative pour forcer le blocus de l'armée prussienne qui fut un échec.

    Le 28 janvier 1871, dix jours après la proclamation de l’Empire allemand à Versailles, l'armistice est signé. Le 26 février 1871  c'était au tour du traité de paix préliminaire, confirmé par la Paix de Francfort du 10 mai : l'Alsace et une partie de la Lorraine sont annexées au nouvel Empire allemand à qui la France s'engage à payer une indemnité de guerre de cinq milliards de francs or.

    " La Commune est née d’une double crainte : celle de l’entrée des troupes prussiennes dans Paris et celle d’une réaction monarchique consécutive aux élections législatives de février 1871. « Les prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques (3) », annonce un communiqué le 21 mars. Animés d’une passion démocratique, du souvenir du droit à l’insurrection proclamé par la Constitution de 1793 et d’une ferme volonté de résoudre la question sociale, différents groupes issus du peuple parisien vont inventer au jour le jour une forme institutionnelle inédite. " Christophe Voilliot

    Dans La Guerre civile en France, Karl Marx présente ainsi ce gouvernement d'imposteurs et de parvenus où l'on trouve Adolphe Thiers, futur massacreur de la Commune :

    " Le gouvernement de la Défense  nationale n'hésita pas un instant : il se transforma en un gouvernement de la Défection nationale. La première mesure qu'il prit fut d'envoyer Thiers en tournée par toutes les cours d'Europe pour y implorer médiation, moyennant le troc de la république contre un roi. Quatre mois après le début du siège, quand on crut venu le moment opportun de lâcher pour la première fois le mot de capitulation, Trochu, en présence de Jules Favre et de quelques-uns de ses collègues, harangua en ces termes les maires de Paris assemblés :

    La première question que m'adressèrent mes collègues le soir même du 4 septembre fut celle-ci: Paris peut-il, avec quelque chance de succès, soutenir un siège et résister à l'armée prussienne ? Je n'hésitai pas à répondre négativement. Quelques-uns de mes collègues qui m'écoutent peuvent certifier que je dis la vérité et que je n'ai pas changé d'opinion. Je leur expliquai, en ces mêmes termes, que, dans l'état actuel des choses, tenter de soutenir un siège contre l'armée prussienne serait une folie. Sans doute, ajoutai-je, ce serait une folie héroïque, mais voilà tout... Les événements [qu'il avait lui-même conduits (K. M.)] n'ont pas démenti mes prévisions. "

    Ce charmant petit discours de Trochu fut publié dans la suite par M. Corbon, un des maires présents.

    Ainsi, au soir même de la proclamation de la république, le « plan » de Trochu, ses collègues le savaient, c'était la capitulation de Paris. Si la défense nationale avait été quelque chose de plus qu'un prétexte pour le gouvernement personnel de Thiers, Favre et Ciel les parvenus du 4 septembre auraient abdiqué le 5, ils auraient mis le peuple de Paris au courant du « plan » de Trochu ; ils l'auraient mis en demeure de se rendre sur l'heure, ou je prendre en main son propre sort.
    Mais au lieu de cela, les infâmes imposteurs résolurent de guérir la folie héroïque des Parisiens : on leur ferait subir un régime de famine, on leur ferait casser la tête et on les bernerait entre-temps par des manifestes tapageurs : « Trochu, le gouverneur de Paris, ne capitulera jamais »; Jules Favre, ministre des Affaires étrangères, ne cédera « pas un pouce de notre territoire ! Pas une pierre de nos forteresses !» Dans une lettre à Gambetta, ce même Jules Favre, précisément, avoue que ce contre quoi ils se « défendaient», ce n'étaient pas les soldats prussiens, mais les travailleurs de Paris. Pendant toute la durée du siège, les coupe-jarrets bonapartistes, à qui Trochu avait sagement confié le commandement de l'armée de Paris, échangèrent, dans leur correspondance intime, de grasses plaisanteries sur cette bonne farce de la défense. (...)

    Le masque d'imposture fut enfin jeté le 28 janvier 1871. Mettant un véritable héroïsme à s'avilir jusqu'au bout, le gouvernement de la Défense nationale apparut dans la capitulation de Paris comme le gouvernement de la France par la permission de Bismarck, rôle si vil, que Louis Bonaparte lui-même, à Sedan, s'y était refusé avec horreur. Après les événements du 18 mars, dans leur fuite éperdue à Versailles, les capitulards abandonnèrent à Paris les preuves écrites de leur trahison, et, pour anéantir ces preuves, comme le dit la Commune dans son adresse aux départements, « ces hommes ne devaient pas hésiter à faire de Paris un monceau de ruines dans une mer de sang ».

     Karl Marx

     La Guerre civile en France

    trochu, napoléon III
    Le plan Trochu

    " Il y avait dans les esprits une véritable exagération  de la valeur, des facultés, de l'importance de la garde  nationale... Mon Dieu, vous avez vu le képi de M. Victor  Hugo qui symbolisait cette situation.  "

     Le Général Trochu à l'Assemblée Nationale, - 14 juin 1871.

    Victor Hugo, dans l'Année terrible, a défini  le général Trochu pour la postérité.

     " Participe passé du verbe Trop Choir ..."

    XVII

    Participe passé du verbe Trop Choir, homme
    De toutes les vertus sans nombre dont la somme
    Est zéro, soldat brave, honnête, pieux, nul,
    Bon canon, mais ayant un peu trop de recul,
    Preux et chrétien, tenant cette double promesse,
    Capable de servir ton pays et la messe,
    Vois, je te rends justice ; eh bien, que me veux-tu ?
    Tu fais sur moi, d'un style obtus, quoique pointu,
    Un retour offensif qu'eût mérité la Prusse.

     Dans ce siège allemand et dans cet hiver russe,
    Je n'étais, j'en conviens, qu'un vieillard désarmé,
    Heureux d'être en Paris avec tous enfermé,
    Profitant quelquefois d'une nuit de mitraille
    Et d'ombre, pour monter sur la grande muraille,
    Pouvant dire Présent, mais non pas Combattant,
    Bon à rien ; je n'ai pas capitulé pourtant.
    Tes lauriers dans ta main se changent en orties.
    Quoi donc, c'est contre moi que tu fais des sorties !
    Nous t'en trouvions avare en ce siège mauvais.
    Eh bien, nous avions tort ; tu me les réservais.
    Toi qui n'as point franchi la Marne et sa presqu'île,
    Tu m'attaques. Pourquoi ? je te laissais tranquille.
    D'où vient que ma coiffure en drap bleu te déplaît ?
    Qu'est-ce que mon képi fait à ton chapelet ?

    Quoi ! tu n'es pas content ! cinq longs mois nous subîmes
    Le froid, la faim, l'approche obscure des abîmes,
    Sans te gêner, unis, confiants, frémissants ?
    Si tu te crois un grand général, j'y consens ;
    Mais quand il faut courir au gouffre, aller au large,
    Pousser toute une armée au feu, sonner la charge,
    J'aime mieux un petit tambour comme Barra.
    Songe à Garibaldi qui vint de Caprera,
    Songe à Kléber au Caire, à Manin dans Venise,
    Et calme-toi. Paris formidable agonise
    Parce que tu manquas, non de cœur, mais de foi.
    L'amère histoire un jour dira ceci de toi :
    La France, grâce à lui, ne battit que d'une aile.
    Dans ces grands jours, pendant l'angoisse solennelle,
    Ce fier pays, saignant, blessé, jamais déchu,
    Marcha par Gambetta, mais boita par Trochu.

    Victor Hugo —L'Année terrible